Résultats de l’Enquête Pie-Grièche écorcheur Lanius Collurio

La Pie-grièche écorcheur Lanius collurio est présente dans une très grande partie du Paléarctique Occidental. Son aire de nidification s’étend de 60° de latitude nord en Fennoscandie, jusqu’aux rives nord de la Méditerranée. Cette pie-grièche s’accommode de régions au climat frais mais délaisse les zones où les mois d’été sont trop pluvieux ou nuageux ainsi que les zones trop arides. La Pie-grièche écorcheur est absente des plaines du sud de la France et d’une grande partie de l’Espagne. A l’est, cette espèce est remplacée par la Pie-grièche brune Lanius cristatus et la Pie-grièche isabelle Lanius isabellinus (Lefranc, 1993).

Les populations européennes de la Pie-grièche écorcheur suivent une migration orientale qui s’effectue en boucle et qui les amène à parcourir de 8000 à 12000 km entre leur lieu de nidification et leur lieu d’hivernage. Notons l’existence possible d’une voie occidentale pour les populations du nord de l’Espagne et du Portugal (Lefranc op. cit.)

En période de reproduction, la Pie-grièche écorcheur apprécie les milieux nettement ensoleillés parsemés de buissons et de zones assez vastes de végétation rase. Les insectes doivent y être abondants.

Les milieux préférentiels pour la nidification sont :

• les landes sèches de type pelouses calcaires avec buissons épars et présence d’ovins ou de bovins.
• les friches résultant de l’abandon de pratiques agricoles.
• les parcs à bestiaux incluant des buissons isolés et de nombreux perchoirs.
• les prairies de fauche entourées de buissons.
• les grandes clairières forestières (après des coupes à blanc).
• les vergers à proximité de prairies.

PROTOCOLE

1. Prospection des biotopes favorables
Cette prospection, effectuée entre le 2 et le 23 mai 1999, a porté sur 41 communes de notre département et a été réalisée en 5 sorties (4 demi journées + 1 journée).
2. Prospection des Pies-grièches
Les recherches se sont basées sur 11 sorties de prospection réparties régulièrement entre le 24 mai et le 20 juillet 1999. Les observations ont été réalisées entre 10h et 19h.
Pour chaque site, à l’aide d’un tableau, la présence ou non de troupeaux a été notée. Il était précisé s'il s’agissait de vaches, de moutons ou de chevaux ainsi que la distance séparant les pies-grièches du troupeau.
Le type de végétation était lui aussi succinctement décrit, les catégories suivantes étant définies :

• haie d’épineux au bord d’un pâturage.
• épineux épais sur une lande.
• friche contenant feuillus et épineux.
• autres.

RESULTATS

Les sites incluant des biotopes favorables ou acceptables sont assez peu nombreux en Indre-et-Loire, tout particulièrement dans les zones est et nord-est du département. Tous les secteurs initialement prévus n’ont pu être prospectés.
Les conditions climatiques, globalement favorables sur l’ensemble de la période, n’ont pas gêné les prospections.
Lors de cette enquête, 254 individus furent notés, représentant entre 75 et 143 couples repartis sur 50 communes et définissant 2 grands ensembles (fig. 1).
Le principal fait marquant de cette enquête fut la découverte d’une population importante (39 individus pour 13 à 19 couples) autour de la commune de Saint-Hippolyte, à proximité du département de l’Indre.

DISCUSSION

Si de nombreux sites semblant favorables ne sont pas occupés, dans la majorité des cas, la présence de l’espèce reste liée à son milieu de prédilection habituel : les pâtures entourées de haies épineuses avec présence de bétail (généralement bovins) sur place ou à proximité. Quelquefois, le site occupé échappe à cette règle (les biotopes restant toutefois classiques) :

• friche avec buissons épineux (ex. commune de Chédigny).
• haie d’arbustes entourée de champs de céréales (ex. commune de Marçay).

Statut de la Pie-grièche écorcheur en Indre-et-Loire par secteur

Secteur sud-est (canton de Loches, Montrésor et Bléré-Sud). (68 individus pour 23 à 34 couples)
La prospection de ce secteur mal connu jusqu’alors a permis la découverte d’une importante population autour du lieu-dit « Le Donjon » (commune de Saint-Hippolyte). Ce secteur regroupe à lui seul plus de 17% des couples certains notés en 1999. La densité sur le secteur du Donjon est de 3 à 4 couples / km², elle peut donc être considérée comme très importante (Lefranc op. cit.). Les sites favorables sur Saint-Hippolyte ne sont toutefois que des îlots, les pies-grièches se trouvent donc concentrées sur ceux-ci qui malheureusement, rétrécissent de plus en plus (expliquant potentiellement les fortes concentrations relevées). Pour se convaincre de ces modifications et des conséquences qu’elles entraînent, il suffit d’observer la périphérie de ces sites : céréales de tout côté. La commune de Bridoré, de l’autre côté de l’Indre, en est la démonstration : absence de biotope favorable, absence de pie-grièche…

Secteur nord-ouest (cantons de Château-la-Vallière, Neuillé-Pont-Pierre et Langeais). (66 individus pour 14 à 44 couples)
Les populations de ce secteur semblent se maintenir. Quarante quatre individus étaient notés en 1994 (Lebreton, 1994).

Secteur sud et sud-ouest (canton de Chinon, Richelieu, L’Ile-Bouchard, Descartes, Le Grand-Pressigny, Preuilly-sur-Claise). (31 individus pour 10 à 17 couples)
Cette région n’a malheureusement été que très partiellement couverte. Un travail de prospection reste donc à mettre en place dans cette zone qui comporte plusieurs zones favorables à l’espèce. Pour exemple, 7 mâles furent notés autour de la commune de Tournon St Martin en Juin 2003 (J. Présent et obs. pers.).

Secteur du Bourgueillois. (46 individus pour 17 à 24 couples)
Ce secteur reste un des principaux sites de présence de la Pie-grièche écorcheur dans notre département.
Il est toutefois important de noter qu’en 1994, ce secteur accueillait 29 couples pour 81 individus (Lebreton, 1994), la baisse est donc sensible.
Il est difficile de savoir si cette baisse est due à des fluctuations annuelles (problèmes sur zones d’hivernage, etc.), où bien si il s’agit d’une tendance plus générale et donc plus inquiétante. Seul un suivi sur un nombre plus important d’années permettra de répondre à cette question.

Secteur est et nord-est (canton de Château-Renault, Vouvray, Amboise, Bléré-nord).
Cette zone n’a pas été prospectée faute de personnes disponibles. Notons toutefois que ce secteur, considérant les biotopes qu’il renferme, est sans doute peu favorable à l’espèce.

Fig. 1 La Pie-grièche écorcheur en Indre-et-Loire en 1999, répartition par commune. En grisé, les communes prospectées spécifiquement. Les chiffres indiquent le nombre total d’individus

CONCLUSION

D’une façon générale, les populations se concentrent sur les îlots de pâtures ou de friches qui subsistent dans le département et sont donc menacées par la mise en culture de ces terrains.
Comme pour d’autres espèces dépendantes d’un type particulier de milieu, la principale menace émane des mutations agricoles.
La dernière enquête départementale concernant cette espèce à été effectuée en 1994, la présence de l’espèce était notée sur 17 communes contre 50 pour l’enquête 1999.
Toutefois, les prospections de 1994 et de 1999 suivent des protocoles trop différents pour que leurs résultats soient significativement comparables. Etant donné le décousu des suivis, à la fois dans le temps et dans l’espace, il apparaît impossible d’établir un bilan précis de l’évolution des populations de Pies-grièches écorcheur en Indre-et-Loire. L’enquête de 1999, avec quelques améliorations dans son protocole, pourrait servir de base aux prochaines enquêtes concernant cette espèce dans notre département et ainsi permettre son réel suivi dans le temps.
Si le résultat de 254 individus notés durant cette enquête est remarquable et pour tout dire inattendu, il convient de souligner la fragilité de la situation de la Pie-grièche écorcheur en Indre-et-Loire.
On note, de fait, un manque d’homogénéité dans la répartition de cette espèce sur notre territoire : 31 individus adultes sur la seule commune de Saint-Hippolyte dont 20 autour du lieu-dit Le Donjon et 46 individus sur le secteur du Bourgueillois.
Si le site du Donjon devient inapte à l’accueil des Pies-grièches écorcheur, c’est une grande partie des effectifs d’Indre-et-Loire qui disparaîtront. Quand au secteur de Bourgueil et de ses alentours, qui fut suivi en 1994 et en 1999, il a été noté une baisse notable des effectifs. Il convient donc de ne pas trop se réjouir des « bons » chiffres de cette enquête, mais plutôt de rester vigilant devant la précarité de la situation de la Pie-grièche écorcheur dans notre département.

La Pie-grièche écorcheur étant inscrite à l’annexe I de la « Directive Oiseaux » (Directive CEE 79/409), elle est donc susceptible de bénéficier de mesures particulières de la part des états membres de la communauté. Les espèces de l’Annexe I, si elles entrent dans la mise en place des Zone d’Importance Communautaires pour les Oiseaux (ZICO) et la création des Zones de Protection Spéciales (ZPS), peuvent également être privilégiées dans le cadre « d’Actions communautaires pour l’environnement » (ACNAT). Sur proposition d’associations, il est possible par ce biais de mobiliser des fonds communautaires (à hauteur de 50% des dépenses totales envisagées), des fonds nationaux (via le Ministère de l’environnement à hauteur de 25%) et des financements divers (collectivités locales, associations, etc.). Les Pies-grièches pourraient aussi bénéficier de l’application de l’ « article 21 » (article 19 du règlement CEE 795-85 modifié) : cette démarche, grâce à des contrats passés entre l’Etat et les agriculteurs, a po ur but de favoriser une agriculture respectueuse de l’environnement (Lefranc, op. cit.).

Le suivi des populations de Pie-grièche écorcheur revêt d’autant plus d’importance que cette espèce peut-être considérée comme un excellent bio-indicateur des milieux semi-ouvert. En cherchant à la protéger, c’est toute la biodiversité de ces milieux qui sera préservée. Il convient donc que le statut de cette espèce dans notre département ne rejoigne pas celui des autres espèces de Pies-grièches qui l’on fréquenté de par le passé…

REMERCIEMENTS

Tout d’abord, je tiens à remercier Caroline et Antoine Certin qui, en plus d’avoir prospecté les Pies-grièches écorcheurs, ont effectué la majeure partie de la prospection des biotopes favorables à l’espèce. Merci également à Alexandre Zboray pour ses prospections et sa synthèse des observations ainsi qu’à toutes les autres personnes qui ont accepté de participer à cette enquête : S. Cassat, C. Clarté, M. Dancoise, G. Delcroix, J.-M. Feuillet, I. et F. Fonquernie, D. Guillet, N. et P. Le Calvez, A. Levêque, N. Morel, C. Nicolas, B. Pilorget, J.-F. Ripault, M. Tellia, D. Thierry et S. Vallée.

BIBLIOGRAPHIE

• LEBRETON S. (1994). Enquête pies-grièches 1994. La Sterne 1992 : 68-70
• LEFRANC N. (1993). Les pies-grièches d’Europe d’Afrique du nord et du Moyen-Orient. Delachaux & Niestlé, Lausanne.