Le Bécasseau de Temminck
Calidris temminckii en Indre-et-Loire

Le Bécasseau de Temminck Calidris temminckii est l’un des plus petits bécasseaux du Paléarctique Occidental. Trapu, bas sur pattes et au corps allongé, la poitrine et les parties supérieures sont chamois brun, paraissant uniformément brun « terreux » de loin. Ses pattes claires de couleur jaunâtre et l’absence de teinte roussâtre le distinguent du Bécasseau minute. A première vue, l’oiseau fait souvent penser à un Chevalier guignette en miniature. L’adulte nuptial présente un nombre variable de plumes au centre noir et au bord chamois rouille au niveau du manteau et aux scapulaires.

Malgré la similitude d’allure avec le Bécasseau minute, plusieurs traits de comportement le caractérisent : il s’adonne peu fréquemment à des courses inopinées ; et lorsqu’il picore, ses mouvements sont plus posés et calmes.

Nicheur de la taïga d’altitude et de la toundra dans toute la zone boréale subarctique d’Eurasie (56000 couples en Scandinavie dont 34000 en Norvège) jusqu’au détroit de Béring à l’est de la Sibérie, il migre à l’intérieur des terres sur un large front à travers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Ses quartiers d’hiver s’étendent du bassin méditerranéen au Moyen-Orient, et à l’est, du sud de l’Asie jusqu’au Japon. Mais la quasi totalité des oiseaux européens rejoignent le sud du Sahara et séjournent du Sahel au golfe de Guinée et au Kenya (CRAMP, 1982).

Les adultes amorcent leurs mouvements migratoires avant la fin de l’émancipation des jeunes, entre début juillet pour les individus de Fennoscandie et fin juillet pour les populations sibériennes. Les juvéniles abandonnent leur terre natale à partir de la première quinzaine d’août.

Migrateur rare et hivernant occasionnel en France, son passage postnuptial s’effectue de mi-juillet à fin novembre et surtout de mi-août à début octobre. Le retour, situé de fin mars à début juin, est moins marqué qu’à l’automne. Environ 200 oiseaux sont notés en moyenne chaque année en France. A ce titre, il est soumis à homologation départementale en Indre-et-Loire (CHD 37) et a été inscrit sur la liste des espèces traitées par le CMR (Comité de suivi des Migrateurs Rares). Les observations sont réparties à travers tout le pays, mais essentiellement dans la moitié est et en Camargue, et concernent généralement des individus isolés ou par 2-3, parfois en groupes plus importants (42 le 23 août 1974 en Camargue) (DUBOIS, 2000).


NOMBRE D’OBSERVATIONS

Figure 1
Le Bécasseau de Temminck en Indre-et-Loire entre 1980 et 2003 ( Nb données/ Nb individus)

Tab. I : Tableau récapitulatif des paramètres étudiés

 

PERIODE

 

1980-1996

1997-2003

1980-2003

Nb données

8

14

22

χ données/an

0,47

2

0,92

Nb individus

10

22

32

χ ind./an

0,59

3,2

1,33

χ ind./donnée

1,25

1,57

1,45

Médiane ind./donnée

1

1

1

1. Période 1980 - 2003

  • 22 observations sont comptabilisées pour 32 individus soit une moyenne de 0,92 obs./an pour 1,33 ind./an.
  • 11 années sont caractérisées par une absence d’observations sur une période de 24 ans, soit presque une année sur deux (46 %).
  • Le nombre maximum de données pour une année est de 3. Il est atteint à deux reprises : en 2001 et 2003.
  • Le nombre moyen d’individus par donnée est de 1,45.
    Cette valeur varie peu si l’on considère la période 1980-1996 (1,25) et 1997-2003 (1,57).
    Cette dernière (1.57) est en partie biaisée par une donnée concernant 6 individus,
    tirant légèrement la moyenne vers le haut.
    La médiane, plus pertinente que la moyenne car moins influencée par les valeurs extrêmes,
    est identique (1,00) quelque soit la période considérée (80-03, 80-97, 97-03).
    Ces résultats révèlent une certaine homogénéité durant toute la période étudiée.
    On peut donc affirmer que le nombre d’oiseaux par observation demeure constant entre 1980 et 2003.

2. Depuis 1997

  • Les observations sont annuelles, avec des données aux deux migrations,
    prénuptiales et postnuptiales, en 2001, 2002 et 2003.
  • 14 observations sont comptabilisées pour 22 individus soit une moyenne annuelle de 2 observations pour 3,2 individus. Cela représente 64% des observations (69 % des individus) pour la période 1980-2003.
  • La moyenne annuelle des observations est 4 fois plus élevée que pour la période antérieure à 1997
    et 2 fois plus élevée que pour toute la période considérée (1980-2003).

3. Conclusions

On constate depuis quelques années un accroissement significatif du nombre de données de Bécasseaux de Temminck en Touraine. Cette progression semble, par ailleurs, avoir atteint un seuil correspondant au nombre réel d’observations réalisables chaque année en Indre-et-Loire, en dehors des phénomènes d’afflux. L’annualité et la régularité des observations cumulées depuis 1997 sont dues à deux facteurs principaux :

  • - L’augmentation de la pression d’observation, essentiellement sur les sites ligériens.
  • - L’absence de crue printanière de la Loire en 2002 et 2003.

L’augmentation récente du nombre d’observations de Bécasseaux de Temminck n’est pas liée à une modification de son pattern d’apparition en Indre-et-Loire ou à un passage migratoire plus marqué. Les facteurs météorologiques sont en outre peu envisageables. En effet, il s’avère que les aléas climatiques n’ont que peu d’influence sur la régularité d’apparition et la constance des effectifs de Bécasseaux de Temminck en Europe Occidentale (contrairement aux Bécasseau cocorli Calidris ferruginea et minute Calidris minuta) (HELKINS, 1996). Un suivi assidu doublé d’une prospection continue et plus homogène des zones propices au stationnement des limicoles paraît être la seule et unique raison. L’existence des biotopes favorables, engendrée par les niveaux bas de la Loire et du Cher aux moments opportuns est alors indispensable pour accueillir ce petit échassier.


REPARTITION DES DONNEES ET DES INDIVIDUS
(Fig. 2 et 3)

1. Migration (Tab. II et III)


Fig. 2 : Le Bécasseau de Temminck en Indre-et-Loire (nombre de données cumulées par décade)


Fig. 3 : Le Bécasseau de Temminck en Indre-et-Loire (nombre d’individus cumulés par décade)

Tab. II : Distribution du nombre de données et d’individus lors des migrations prénuptiale et postnuptiale

 

Nb données

%

Nb ind.

%

Migration prénuptiale

10

45

20

62

Migration postnuptiale

12

55

12

38


Tab. III : Répartition mensuelle des données lors des migrations prénuptiale et postnuptiale

 

mig. prénuptiale

mig. postnuptiale

 

mars

avr

mai

aoû

sep

oct

Nb données

1

1

8

3

7

2

%

10

10

80

25

58

17



Bien qu’au plan national, le passage automnal soit plus conséquent, en Touraine, le nombre de données aux deux migrations est à peu près équivalent et le nombre d’individus penche largement en faveur de la migration prénuptiale. Ce paradoxe semble plus résulter de la qualité des milieux que de la pression ornithologique, sensiblement identique au printemps et à l’automne.

Migration prénuptiale :
Le mois de mai et plus précisément ses deux premières décades, fournissent 80 % des données printanières (soit 36 % du total des observations). Mai accueille classiquement en Touraine des limicoles appartenant à des populations septentrionales (migrateurs longue distance) remontant d’ Afrique tel que le Bécasseau maubèche Calidris canutus, le Pluvier argenté Pluvialis squatarola, le Grand Gravelot Charadrius hiaticula et le Bécasseau sanderling Calidris alba. On constate que le pattern printanier du Bécasseau de Temminck, dont les populations européennes hivernent en Afrique Centrale (Kenya, golfe de Guinée…) coïncide avec celui de ces dernières espèces. Le niveau de la Loire, souvent encline à des crues en mai, est primordial pour le stationnement et donc l’observation des limicoles durant cette période.

Migration postnuptiale :
Le pattern de la migration postnuptiale correspond tout à fait à celui observé ailleurs en France, à savoir un passage qui débute mi-août pour atteindre un maximum mi-septembre. Ce mois est, avec mai, le plus classique pour l’observation de l’espèce en Touraine (58 % des données automnales et 32 % du total des observations).


2. Dates extrêmes

Migration prénuptiale :

  • date la plus précoce : 2 le 21/03/82 au lac de Rillé
  • date la plus tardive : 1 stationne du 15 jusqu’au 18/05/92 à Tours « Rives du Cher ».

Le départ des quartiers d’hivernage en Afrique et en Asie se produit en mars-avril. Le passage en Europe et en Turquie s’effectue de mi-avril à mi-mai, les oiseaux atteignant leurs zones de reproduction mi-mai en Scandinavie et entre fin mai et début juin en Sibérie.
En France, les premiers individus prénuptiaux sont observés fin mars (parfois en deuxième décade, notamment en Camargue). La donnée du 21/03 en Indre-et-Loire paraît donc relativement précoce pour un département de la Région Centre. Cette observation, unique pour le mois de mars (voir Fig. 2), demeure toutefois très marginale, l’espèce n’étant ensuite notée qu’à partir de mi-avril.
La date d’observation printanière la plus tardive concorde quant à elle avec la période de passage des derniers migrateurs, nicheurs de Scandinavie, rejoignant leurs quartiers de reproduction.

Migration postnuptiale :

  • date la plus précoce : 1 le 19/08/1994 au lac de Rillé
  • date la plus tardive : 1 le 06/10/1997 à Saint-Avertin « Rives du Cher »

Les dates extrêmes pour la migration postnuptiale cadrent parfaitement avec le pattern
du passage automnal de l’espèce dans notre région.


3. Milieux fréquentés

Tab. IV : Répartition des données en fonction du milieu fréquenté

 

Loire

Cher

Rillé

Autres (carrière)

Nb données

12

4

5

1

%

54

18

23

5

Les migrateurs affectionnent tout type de zones humides, s’arrêtant plus volontiers sur des plages de vase plus ou moins colonisées par une végétation herbacée encore clairsemée, au bord de nappes d’eau douce ou saumâtre, dont l’étendue peut être fort modeste. On les rencontre sur des flaques d’inondation, sur les rives des mares, des étangs, des fossés et au bord de la mer dans des zones humides à salicornes ou herbeuses (GEROUDET, 1982).
En Indre-et-Loire, on le rencontre dans 3 types de milieux :

  • Les principaux cours d’eau du département (Loire et Cher).
  • Le lac de Rillé.
  • Les anciennes carrières de faluns.

Loire :

Tab. V : Répartition des données sur les communes de la Loire

 

LOIRE

Communes

Bréhémont

La-Chapelle-aux-Naux

La-Chapelle-sur-Loire

Nb données

1

1

1

%

8.3

8.3

8.3

Communes

Montlouis-sur-Loire

Mosnes

Saint-Genouph

Nb données

6

2

1

%

50

16.8

8.3

Parmi les milieux où il est contacté, la Loire génère la majorité des données (54 %). Toutes ces observations ont été réalisées lorsque le fleuve était assez bas, découvrant de très nombreux bancs de sables. Le Bécasseau de Temminck semble affectionner particulièrement les rives, îlots ou bancs sablo-vaseux, récemment émergés et assez humides. La présence de végétation n’est pas obligatoire et systématique, toutefois, l’existence de quelques zones d’herbe rase et clairsemée ne paraît pas lui déplaire. La formation de petites flaques vaseuses au milieu de larges bancs de sables plus secs, apparaît également très propice pour le stationnement de l’espèce.
Il est noté sur 6 communes localisées sur toute la longueur du fleuve, de Mosnes (limite orientale du département) à La-Chapelle-sur-Loire (limite occidentale).
Montlouis-sur-Loire comptabilise, à elle seule, la moitié des données ligériennes. Cette prédominance peut être mise sur le compte de deux facteurs :

  • la pression ornithologique exercée depuis 25 ans est bien supérieure à celle d’autres secteurs ligériens. Mais cette situation tend à s’équilibrer depuis quelques années avec une prospection plus homogène de la Loire,
  • ce « hot spot » de l’ornithologie tourangelle, constitué d’un biotope très riche et diversifié, demeure un pôle d’attraction incontournable pour les limicoles.

Cher :
Cet affluant de la Loire trouve son intérêt, dans l’agglomération tourangelle, lorsqu’il est en « chômage », c’est-à-dire lorsque les barrages sont ouverts. Les berges de la rivière se transforment en larges étendues de vase où l’on rencontre différentes espèces de limicoles, dont le Bécasseau de Temminck contacté à 4 reprises (18% des données). A l’inverse, une crue printanière provoquant l’inondation des labours et des champs aux alentours peut aussi attirer ce petit échassier comme ce fut le cas en mai 2001.

Lac de Rillé :
Le lac de Rillé est, après la Loire, le site totalisant le plus grand nombre d’observations (23 %). Annuellement, le lac est partiellement vidé, dévoilant de larges secteurs de vase au fur et à mesure que le niveau d’eau diminue. Le Bécasseau de Temminck fréquente les zones vaseuses à proximité de la rive ou au bord des flaques d’eau formées suite au retrait des eaux. Autrefois à des niveaux bas en avril-mai, le lac de Rillé est malheureusement en pleine eau depuis plusieurs années durant cette période, rendant impossible le stationnement de limicoles. L’espèce est donc à rechercher sur le site surtout en août-septembre.

Autres sites :
L’unique observation en dehors des deux principaux cours d’eau du département et du lac de Rillé provient d’un site qui n’est situé qu’à 2 km de ce dernier : il s’agit d’une ancienne carrière de faluns, à Lublé « Les Croix », ayant accueilli moult espèces de limicoles. L’existence d’une seule donnée pourrait paraître anecdotique; néanmoins, elle montre que le Bécasseau de Temminck peut être contacté sur des sites aussi « atypiques » qu’une petite carrière abandonnée. Les bassins de décantation ou d’irrigation, très prisés lors des haltes migratoires, peuvent également servir de pistes de prospection.


4. Nombre d’individus

Effectif maximum : 6 le 10/05/2001 à Véretz sur les bords du Cher (J. Présent).

Tab. VI : Nombre d’individus contactés par observations

 

1 ind.

2 ind.

>2 ind.

Nb données

16

5

1

%

73

23

4


Tab. VII : Répartition du nombre d’individus par données lors de la migration pré- et post-nuptiale

 

Nombre de données

 

1 ind.

2 ind.

>2 ind.

Migration prénuptiale

4

5

1

Migration postnuptiale

12

0

0


73 % des données concernent l'observation d'un seul individu, ce qui traduit le caractère généralement solitaire de l'espèce en migration.
Une seule mention rapporte l'observation d'un groupe supérieur à deux individus. Celle-ci demeure donc assez occasionnelle en Indre-et-Loire, intervenant en général sur des sites de stationnement importants comme la Camargue (ex : 13 individus ensembles en septembre 2003) (Répondeur du coin des branchés).
Toutes les données de plus d'un individu sont issues de la migration prénuptiale (les données postnuptiales se rapportant toutes à un seul oiseau par observation). Cette constatation reflète-t-elle une stratégie de migration différente lors du passage automnal et de la remontée printanière ?
Bien que la différence soit statistiquement significative (KOLMOGOROV-SMIRNOV, p<0.05), en Indre-et-Loire (de 1980 à 2003) et en France (en 2000-2001) (BAETA & le C.M.R. comm. pers .), aucune relation de cause à effet ou quelconque conclusion ne peuvent être établies entre le nombre d'individus observés par donnée et le caractère pré- ou postnuptial de la migration.

5. Mœurs

Moins grégaire que ses congénères, il est peu sociable lors de ses haltes migratoires. Ne cherchant pas à côtoyer d'autres espèces de limicoles, il se tient généralement à l'écart.


CONCLUSION

Le Bécasseau de Temminck est un migrateur rare mais régulier en Touraine. Les observations de ces dernières années tendent à montrer l'annualité de l'espèce dans notre région, bien que comme pour d'autres limicoles, son apparition dépende en partie des niveaux des différents cours d'eau et étangs. La fréquence supérieure des observations ne résulte pas d'une modification de son pattern migratoire, mais d'une prospection plus poussée et d'une pression continue lors des périodes de migration, aidée par le niveau bas des cours d'eau aux moments adéquats. Une meilleure connaissance de son comportement, de ses habitudes et des milieux qu'il affectionne contribue également à augmenter la probabilité de contacter l'oiseau. Il ne tient donc plus qu'aux observateurs la tache de déceler, chaque année, ce petit migrateur scandinave, certes, non pas le plus coloré et spectaculaire des limicoles, mais au charme indéniable.


REMERCIEMENTS

Je tiens tout particulièrement à remercier :

  • Aurélien Audevard pour ses remarquables clichés autant esthétiques que didactiques illustrant cet article.
  • Pierre Cabard pour la collecte, la conservation et la communication des données ayant permit un traitement exhaustif et complet des observations.
  • Renaud Baeta, Pierre Cabard et Julien Présent pour leurs relectures attentives et leurs remarques pertinentes.

BIBLIOGRAPHIE

BREIEHAGEN T. (2000). Temminck's Stint Calidris temminckii . Atlas of wader populations in Africa and western Eurasia , pp.144-146. International Wader Study Group (eds. Kirby, J. et al .). London .

CABARD P. & le C.H.D 37 (2003). Le rapport du CHD 37 en 2002. Le P'tit Grav' , vol. 1 : 46-49

CRAMPS S. & SIMMON S. K.E.L (eds.) (1982). The Birds of the Western Palearctic . Vol. III. Oxford University Press, Oxford .

DUBOIS P.J., LE MARECHAL P., OLIOSO G. & YESOU P. (2000). Inventaire des oiseaux de France métropolitaine . Nathan, Paris.

ELKINS N. (1996). Les oiseaux et la météo . Delachaux et Niestlé, Paris.

GEROUDET P. (1982). Limicoles, Gangas et Pigeons d'Europe. Tome 1. Delachaux et Niestlé. Paris.

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