Notes sur le stationnement hivernal d’un Pluvier guignard Charadrius morinellus en Touraine

Le 19 décembre 2003, je me rends à l’étang du Fau, à Manthelan (37), en compagnie de Laurent Le Gal afin d’y recenser les divers anatidés présents à cette période.

Aux environs immédiats du plan d’eau se trouvent des zones de grande culture, notamment de maïs, qui sont pour l’heure recouvertes de très jeunes pousses, ne dépassant pas quelques centimètres. Le site est favorable au stationnement des Vanneaux huppés Vanellus vanellus et des Pluviers dorés Pluvialis apricaria, et en effet, plusieurs centaines d’individus des deux espèces sont présents dans le champ lors de notre arrivée.

Nous décidons de nous arrêter pour compter les Pluviers dorés qui paraissent relativement nombreux. Très vite nous remarquons un individu dont le sourcil très large et net contraste avec celui des autres individus présents. Malheureusement l’oiseau se trouve dans une dépression et nous n’arrivons pas à en voir plus. Après quelques minutes nous parvenons enfin à voir brièvement l’oiseau tout entier : nous sommes alors frappés par sa taille, nettement plus petite que celle d’un Pluvier doré, et surtout par sa poitrine, uniformément gris-sombre et traversée par une fine bande pectorale claire.

Cette observation sera de courte durée : Brusquement, tous les oiseaux s’envolent avant de se reposer dans un champ situé à environ 200 mètres, heureusement, assez proche de la route. Nous retrouvons rapidement notre pluvier, qui se laisse alors observer beaucoup plus complaisamment. Nous profitons de sa coopération pour relever le maximum de détails sur son plumage et son attitude. Malheureusement, au bout de 10 minutes, toute la troupe s’envole et disparaît vers le Sud Ouest, cette fois-ci définitivement.

Malgré tout, l’oiseau sera revu à nouveau au même endroit, une semaine plus tard, par Georges Sabatier. Le séjour de l’oiseau aura donc été d’au moins 8 jours, du 19/12 inclus au 26/12.


DESCRIPTION


COMPORTEMENT

L’oiseau se nourrissait activement en compagnie des Pluviers dorés mais montrait parfois de l’agressivité envers ces derniers : A plusieurs reprises, on a pu le voir chasser ceux qui se nourrissaient autour de lui, avant de se montrer à nouveau indifférent envers eux.
Par ailleurs, l’oiseau se déplaçait toujours avec les Pluviers dorés y compris lorsque la troupe entière décollait, ce qui s’est produit à deux reprises.


DISCUSSION

En Europe, le Pluvier guignard se reproduit principalement en Fennoscandie (Norvège, Suède et Finlande, 10 000 à 20 000 couples), et secondairement en Ecosse (840-950 couples). L’hivernage se fait majoritairement en Afrique du Nord, notamment dans le massif de l’Atlas, et plus accessoirement dans la Péninsule Ibérique.

En migration, l’espèce se rencontre dans un grand nombre de milieux qui ont pour point commun d’être toujours de grandes étendues planes et steppiques : crêtes ou plateaux de montagne dénudés, landes littorales, plaines cultivées, étendues caillouteuses.

Le passage d’automne est toujours le plus fourni, et se décompose en deux pics : un premier pic qui concerne les adultes et qui culmine au cours de la deuxième décade d’août, et un deuxième pic qui concerne les juvéniles et qui atteint son maximum à la mi-septembre. Ensuite le passage décroît rapidement pour s’achever début octobre, laissant parfois encore quelques retardataires jusqu’au début de novembre. La date d’observation de l’oiseau de Manthelan apparaît donc complètement en décalage avec le pattern d’apparition de l’espèce en France, bien que quelques données hivernales existent dans la littérature : 1 capturé le 28 janvier 1877 en Loire-Atlantique, 1 le 31 décembre 1992 à Damgan, Morbihan et 1 les 14 et 15 février 1994 à Plouharnel, Morbihan. Enfin, l’obsevation d’un oiseau le 2 décembre 1988 au lac du Der, Marne, doit être attribuée à un individu retardataire plus qu’à un réel hivernant.

Néanmoins, l’observation de Manthelan constitue le seul séjour hivernal de l’espèce en France, avec un stationnement d’au moins huit jours sur le même site.

Il est difficile d’inscrire cette donnée dans une quelconque tendance, mais il convient de restituer celle-ci dans le cadre d’une année 2003 qui connut un passage automnal sans précédent de Pluviers guignards, avec un total d’au moins 1085 individus recensés et des groupes comptant jusqu’à 75 individus sur les hauts plateaux des Pyrénées-Orientales (LEGENDRE, 2004). Cependant la relation avec notre oiseau n’est pas évidente, car ces stationnements records pourraient être dus à une accumulation de migrateurs bloqués sur le pourtour méditerranéen en raison de conditions météo particulièrement défavorables (LEGENDRE, 2004). Par ailleurs, l’accroissement du nombre de données provenant de l’ensemble du territoire provient très clairement d’une meilleure connaissance et d’une prospection plus poussée des milieux favorables au stationnement de cette espèce discrète. Cet intérêt de plus en plus vif pour la recherche de l’espèce avait d’ailleurs permis quelques mois plus tôt d’observer un autre individu en Champeigne tourangelle, à une vingtaine de kilomètres de Manthelan, à des dates classiques de passage (R.Baeta et J. Présent).

Il faut signaler que postérieurement à cette observation, une autre observation a été réalisée en janvier 2004 dans la plaine de la Crau, Bouches-du-Rhône, où un oiseau a été découvert le 10/01, sans qu’un lien puisse être démontré entre ces deux observations.

On peine donc à trouver une explication convaincante à la présence hivernale d’un Pluvier guignard en Touraine. Cette observation ne s’inscrit dans aucune tendance, si ce n’est la recrudescence des données hivernales de Pluvier guignard depuis une dizaine d’année, sans que l’on puisse pour le moment déterminer si ce phénomène correspond à une réelle augmentation des cas d’hivernage en France, ou si cela ressort seulement d’une meilleure prospection par les ornithologues des bandes hivernales de pluviers.

Cette donnée est pour l’instant la seule donnée hivernale de Pluvier guignard pour l’Indre-et-Loire et pour la Région Centre. Elle a été homologuée par le CHD 37.

BIBLIOGRAPHIE

LEGENDRE F. (2004). Passage remarquable du Pluvier guignard Charadrius morinellus en France à l’automne 2003. Ornithos 11-1 : 24-29

DUBOIS P.J., LE MARECHAL P., OLIOSO G. & YESOU P. (2000). Inventaire des oiseaux de France métropolitaine. Nathan, Paris

Julien Présent
JlnPRESENT@aol.com



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